Nice – Strasbourg 1990
Était-il vraiment raisonnable d’envisager un musée du Gym sans un espace consacré au Nice-Strasbourg du mardi 29 mai 1990? Non, bien évidemment… Une interview de Roby, des coupures de presse d’époque et une vidéo du jour du match vous permettront de vous replonger totalement dans cette soirée qui marqua l’Histoire du Gym tout autant que celle du stade du Ray.
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Roby Langers : l’interview
« Tout le monde voudra encore et toujours en parler »
Comment un Luxembourgeois est-il devenu le héros du peuple niçois en l’espace de 90 minutes, lors d’une chaude soirée du mois de mai de l’an 1990? Un peu plus de 31 ans plus tard, le musée du Gym est allé à la rencontre du principal intéressé pour tenter de percer le mystère.
Roby Langers, comment le football est-il entré dans votre vie ?
C’est très simple : je suis né dans une famille de footballeurs ! Mon oncle, Pierrot Langers, était d’ailleurs international luxembourgeois et j’allais souvent le voir jouer. J’ai grandi avec un ballon dans les pieds. Dans les équipes de jeunes, je marquais beaucoup de buts et j’ai rapidement intégré les sélections du Luxembourg. À 17 ans à peine, j’ai été sélectionné pour mon premier match en équipe A. À 20 ans, on m’a invité à un stage au Borussia Mönchengladbach qui s’est très bien passé puisqu’ils m’ont proposé mon premier contrat professionnel.
Vous n’êtes donc pas passé par un centre de formation ?
J’aurais bien aimé mais à cette époque, ça n’existait pas au Luxembourg. Du coup, lorsque je suis passé d’un club amateur avec deux entraînements par semaine à Mönchengladbach, un club qui venait de jouer une finale de coupe d’Europe, l’écart était immense.
En 1982, le FC Metz est venu vous chercher en Allemagne…
Oui, mais le problème, à l’époque, c’était que les clubs français n’avaient le droit de jouer qu’avec deux joueurs étrangers. À Metz, j’étais le troisième étranger, donc le club a préféré me prêter. J’ai donc joué une saison à Marseille qui évoluait alors en 2ème division. C’était l’époque des « minots » de l’OM avec Éric Di Méco, Marc Pascal, etc. Au centre de formation, il y avait même un jeune qui s’appelait… Christophe Galtier ! Bon, ça a été une saison moyenne pour moi, je l’avoue…
À Orléans avec Henri Zambelli
La saison d’après, vous êtes à nouveau prêté…
Oui, j’étais toujours « barré » à Metz à cause du quota de joueurs étrangers. J’ai donc passé les deux saisons suivantes en division 2 à Quimper et les deux qui ont suivies, j’ai été prêté au Guingamp du président Le Graët. C’est là qu’Orléans est venu me chercher, en 1988. C’est à Orléans que j’ai vraiment flambé en terminant meilleur buteur de D2 avec 27 buts. Nous avions aussi fait un beau parcours en coupe de France où nous avions éliminé le PSG.
C’est à Orléans que vous avez croisé un certain Henri Zambelli ?
Ah Henri ! Il me protégeait Henri ! On était voisins à Orléans et c’est là qu’il est devenu l’un de mes meilleurs amis. Sur le terrain, il était mon protecteur ! Dès que quelqu’un voulait me toucher, il faisait « la bête méchante » et je peux vous dire qu’il était respecté. Il était même respecté par les Corses de Bastia, c’est pour vous dire !
À la fin de cette saison à Orléans, vous recevez de nombreuses propositions ?
Oui, j’ai reçu des propositions de la part des plus grands clubs de première division : le PSG, Nantes, Metz, Montpellier, Nice…
Pourquoi avoir choisi Nice ?
Pour plusieurs raisons… D’abord, j’ai très vite été contacté par Jean-Noël Huck qui avait été mon entraîneur lorsque je jouais à Guingamp. « Nono » a beaucoup insisté pour que je le rejoigne à Nice et ça a joué dans ma décision. Ensuite, il y avait toujours cette histoire de deux étrangers maximum par équipe et le président niçois, Mario Innocentini, m’a assuré que je serai l’étranger numéro 1 à Nice. Enfin, rejoindre le sud de la France et une belle ville comme Nice nous attirait beaucoup avec ma femme. Du coup, quand on a su que Nice était intéressé, on n’a pas hésité une minute et j’ai tout de suite signé ! Et on ne l’a jamais regretté… En plus, au Luxembourg, on connaît bien l’OGC Nice puisqu’un Luxembourgeois y a flambé dans les années 50 : Vic Nurenberg.
En 1989, lorsque vous arrivez, le club vient de terminer sixième de D1, Nenad Bjekovic part, remplacé au poste d’entraîneur par Pierre Alonzo et Jean-Noël Huck est le directeur sportif. Quels sont les objectifs du club pour la saison à venir ?
Vous savez, en début de saison, tous les clubs tiennent toujours le même discours : «On va essayer de faire mieux que la saison d’avant…». Personne ne vous dira jamais qu’il va jouer la descente, hein ! C’est donc ce qu’on s’était dit à ce moment-là. En plus, franchement, on avait une belle petite équipe…
Malheureusement, la saison sera finalement très difficile du fait, notamment, de nombreux blessés de longue durée : Marsiglia, Bocandé, et vous-même…
Au bout de quinze matchs, je suis le meilleur buteur du championnat avec douze buts marqués. Lors de la 16ème journée, on reçoit Brest et je me claque aux adducteurs. J’ai manqué neuf matchs à cause de cette blessure, c’est beaucoup…
« Là, le ton est monté et c’est parti en bagarre générale… »
Le Gym perd aussi ce match face à Brest. Une défaite fatale à Pierre Alonzo qui est démis de ses fonctions… C’était le bon choix selon vous ?
Moi, je ne l’aurais pas fait… C’était encore tôt dans la saison… Mais c’est toujours facile de parler après coup. Les dirigeants ont pris la décision et on l’a respectée. De toutes manières, on ne nous a rien demandé ! C’est dommage parce qu’il était très gentil avec nous, un super mec, aimé par les joueurs, mais peut-être était-il justement trop gentil ? On disait qu’il était très bon formateur et qu’il faisait du bon travail au centre de formation, mais pour l’équipe professionnelle, il était probablement trop gentil…
Comment avez-vous vécu l’arrivée de Carlos Bianchi à sa place ?
Carlos, c’était un grand attaquant, un grand buteur et en plus, un grand Monsieur. Ce n’était pas n’importe qui, hein ! Tout le monde était un peu impressionné à son arrivée.
Quels changements a-t-il apporté dans la manière de jouer de l’équipe ?
Pas grand-chose, en fait… La consigne était simplement de tout donner sur le terrain pour rester en première division. Dans ce genre de situations, on ne te demande plus rien d’autre, c’est tout !
Vous étiez optimiste quant à vos chances de maintien ?
On essaie toujours d’être optimiste… Me concernant, le problème, c’est qu’on m’a fait rejouer trop tôt après ma blessure. Je me suis reblessé et j’ai encore perdu un mois. Au total, j’ai loupé 9 matchs. C’est énorme…
Vous attendiez-vous à une saison aussi difficile ?
Vous savez dans le football, on ne sait jamais ! On ne s’attendait pas à voir l’équipe de France se faire éliminer par la Suisse à l’Euro… Mais je n’ai jamais eu de regrets d’être venu à Nice. Jamais, pas un instant !
En fin de saison, vous parvenez à remonter à la 18ème place grâce à trois victoires au Ray par le score de 1-0 et à chaque fois, qui est le buteur ?
C’est Roby Langers ! C’était contre Caen, Bordeaux et Monaco. Je m’en souviens encore très bien ! Mais ça a été très dur… Quand on joue le maintien, on est crispés et l’ambiance est un peu tendue dans l’équipe, mais on a quand même tenu tous ensemble et on a fait ce qu’on avait à faire….
Le Gym est donc barragiste. Le match aller se joue le 25 mai 1990 à Strasbourg, qui évolue alors en deuxième division. Sur le terrain, vous êtes en difficulté…
On souffre, oui, mais on est surtout menés 3-0 ! Mais on parvient tout de même à se créer des occasions et on sait qu’un but de notre part peut changer beaucoup de choses… Et je marque un beau but d’une volée du gauche sur un service de Jules Bocandé. C’était un but très important qui nous laissait une chance pour le match retour.
À la fin du match, l’ambiance est tendue. Que se passe-t-il exactement ?
Au moment où nous rentrons aux vestiaires, on se rend compte que les Strasbourgeois sont en train de faire un tour d’honneur ! Lorsqu’ils reviennent, on leur dit que ce ne sont pas des choses à faire parce qu’il y a quand même un match retour… Là, le ton est monté et c’est parti en bagarre générale… On était tous très énervés. On a vécu ça comme de la provocation. Puis on leur a dit : « On vous attend de pied ferme à Nice mardi prochain ! »
« On voulait les tuer ! »
Puis vient donc le match retour au Ray, quatre jours plus tard, le mardi 29 mai 1990. Comment avez-vous abordé cette rencontre ?
Il suffit de voir nos visages avant d’entrer sur le terrain pour comprendre dans quel état on était. On voulait les « tuer » !
Vous aviez pourtant failli ne pas jouer…
Ils m’avaient écrasé le pied au match aller. La douleur était telle que je ne pensais pas pouvoir jouer. On m’a fait du laser, des ultrasons et puis un strapping spécial le jour J et j’ai pu débuter la rencontre. Au début, j’ai eu mal, mais après le premier but, j’ai tout oublié !
Le public avait répondu présent…
On n’avait aucun doute là-dessus. On savait que le public allait répondre présent et qu’il savait se mobiliser pour les grandes occasions. On était prêts à communier avec lui et à donner le maximum.
Vous marquez très vite le premier but, sur une déviation de la tête de Jules Bocandé suite à une ouverture de Jean-Philippe Rohr. C’est une phase de jeu que vous aviez travaillé à l’entraînement ?
En fait, on l’avait bien préparé avec Jules, mais… dans ma voiture en arrivant au stade ! Je lui avais dit : « Jules, quand tu montes en l’air (il avait une excellente détente), dévie toujours le ballon vers le but parce que je serai derrière toi ! » C’est exactement ce qu’il a fait et ça a fonctionné.
Racontez-nous votre deuxième but..
Milos Djelmas fait un festival sur le côté droit puis il centre. Je contrôle, je frappe et je marque !
Vous grimpez au grillage et vous faites un signe avec le doigt pointé vers le sol… Que vouliez-vous dire ?
Je leur dis : « On va rester en première division ! On va rester en première division ! »
On aurait pu penser que vous disiez : « Je reste ici la saison prochaine ! » ?
Non, pas du tout. De toutes manières, je ne savais pas encore ce que j’allais faire à ce moment-là…
Dans quel état se trouvaient les Strasbourgeois ?
Ils se demandaient où ils étaient… On les a pris à la gorge dès le début du match et on a gagné tous les duels.
Puis Milos Djelmas est fauché dans la surface. L’arbitre siffle penalty… Jean-Philippe Rohr vient vous glisser quelques mots. Il vous demande de le tirer ?
Non. Cette saison-là, c’est moi qui tirais les penaltys et je n’en ai manqué aucun. Il me dit simplement : « Fais comme tu as l’habitude de faire ! » Mais il n’avait aucune crainte à avoir… Et dans la foulée du penalty, je marque le quatrième but, juste avant la mi-temps. C’était exceptionnel !
Que se passe-t-il dans votre tête ?
On se demande tous un peu ce qui nous arrive… On est sur un nuage et on se demande si on n’est pas en train de rêver… ! Mais à la mi-temps, même à 4-0, on veut rester concentrer et on se dit que rien n’est joué. Il faut qu’on continue sur le même rythme parce qu’il suffit qu’ils marquent un but et ça pourrait les relancer. Et un deuxième but de leur part nous éliminerait…
Finalement, la suite se déroule de la meilleure des manières…
Oui. Le cinquième but, c’est Mouss El Haddaoui qui le marque sur une passe que je lui fais… J’aurais pu le mettre moi-même, mais lorsque j’ai vu que Mouss était très bien placé, je lui ai donnée. En plus, Mouss, c’est un super garçon. Lui, Jules et moi, on était très liés tous les trois…
« On était tous tellement heureux…»
À la fin du match, vous réalisez ce qui vous arrive ?
Oui, je commence à réaliser quand même… Christian Estrosi est venu vers moi. Puis après mon tour d’honneur, je suis tombé dans les bras de Jean-Noël Huck, puis le maire Jacques Médecin m’a remercié et j’ai pris une photo avec lui dans le vestiaire. On était tous tellement heureux…
Comment avez-vous fêté la victoire ?
On est tous allé dîner au Mooréa, le restaurant du président du club des supporters, Marcel Marro, sur le port de Saint-Laurent du Var. Ensuite, on a continué la fête au Grand Escurial, à Nice, avec tous les joueurs, dirigeants, quelques supporters et journalistes.
Cette longue saison 1989/1990 se termine, comment avez-vous abordé la suivante ?
Pas bien du tout… J’étais bien à Nice, mais le PSG m’a fait le genre d’offres qu’on ne peut que difficilement refuser. Mais si je partais, je voulais que le club s’y retrouve et c’était le cas, puisque le PSG proposait 20 millions de francs, ce qui était énorme à l’époque, en plus d’un joueur du PSG, Gabriel Calderon ! Mon contrat était prêt à être signé là-bas, mais le président Innocentini n’a jamais voulu me laisser partir. Il m’a reçu dans son bureau et il m’a dit : «Roby, je ne peux pas faire ça. Si je te laisse partir, ils vont incendier mon entreprise et ils vont me tuer. J’ai reçu des menaces de mort!»
Finalement, vous restez au Gym avec un nouvel entraîneur, Jean Fernandez…
Oui, mais j’ai eu du mal à me remettre de ce transfert raté… Du coup, j’ai loupé mon début de saison et ensuite, ce n’était plus la même chose, comme si un ressort s’était cassé… Mais quoi qu’il arrive, l’OGC Nice fera toujours partie de ma vie. C’est même l’une des plus belles histoires de ma vie. Nice est resté dans mon cœur. Même si ce match face à Strasbourg a eu lieu il y a plus de trente ans, beaucoup de gens m’en parlent encore… Mais il a tellement marqué les Niçois que je pense que tout le monde voudra encore et toujours en parler !
Propos recueillis le 26/07/2021 par Serge Gloumeaud.
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La fiche du match
Nice-Strasbourg
Le mardi 29 mai 1990 (match de barrage retour). Au stade du Ray, Nice bat Strasbourg 6-0 (4-0). Match aller (1-3).
Arbitre: M. Girard.
Spectateurs: 19.947.
Buts : Langers (7′, 26′, 39′ sur pen, 40′), El Haddaoui (64′), Bocandé (89′).
OGC Nice : Morisseau, Mattio, Roy, Elsner, Bonnevay, Gastien, Rohr, Mazzuchetti (El Haddaoui, 24′), Djelmas (Kurbos, 85′), Bocandé, Langers.
Entraîneur : Carlos Bianchi.
RC Strasbourg : Sansone, Dall’Oglio (Rolling, 66′), Leclerc, Orsoni (Seck, 55′), Didaux, Cobos, Rolff, Djorkaeff, Subiat, Monczuk, Péron.
Entraîneur : Leonard Specht.
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Revue de presse
Nice-Matin du mercredi 30 mai 1990.
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La vidéo de l’avant-match, du match et de l’après-match
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