[ L’interview rétro ]

Tomber sur une vieille interview et avoir envie de la faire revivre. Elle en dit tellement sur l’homme et le joueur que des milliers de Niçois ont adoré. Il faut le faire découvrir aux autres générations de supporters. Pour ne pas oublier et savoir ce qu’avaient dans le ventre ceux qui ont écrit l’Histoire du Gym. Aujourd’hui, Josip Katalinski, défenseur Yougoslave de 1975 à 1978.

« J’ai le physique et le tempérament d’un footballeur de choc. Et alors ? »

Josip Katalinski OGC Nice

Nous sommes en mai 1976 et Josip Katalinski est sur le point de boucler sa première saison avec l’OGC Nice. Le Gym terminera à la deuxième place du classement derrière l’AS Saint-Etienne. La faute à l’arbitrage ? L’entraîneur Vlatko Markovic était-il l’homme de la situation ? Josip Katalinski répond (vraiment) sans aucun détour à ces questions, mais aussi à beaucoup d’autres…

 

On vous fait une réputation de véritable terreur. Qu’en pensez-vous ?

Que l’on me connaît mal et que l’on juge le football trop superficiellement. J’ai le physique et le tempérament d’un footballeur de choc ! Et alors ? Je m’engage au maximum mais je joue toujours le jeu sans la moindre arrière-pensée. Je n’ai jamais eu de mauvaise intention à l’égard d’un rival, même dans une partie très chaude.

Ce propos nous conduit à l’arbitrage qui vous a posé quelques problèmes cette saison…

Encore une fois, ne vous fiez pas aux apparences ! Je proteste quand je me sens lésé mais cela ne va pas très loin. J’ai accepté les cartons jaunes sans en faire un drame, en me disant que l’arbitre ne faisait pas toujours la différence entre l’intervention dangereuse et le geste poussé à fond. Tenez, parlons du tacle glissé. Il est admis et compris en Angleterre, en Allemagne et en Yougoslavie. C’est un argument majeur pour les défenseurs. Ici, le tacle est toujours mal interprété. Enfin c’est comme ça ! J’estime que l’arbitrage n’est pas chose facile. Quand on gagne on ne trouve jamais rien à redire. Quand on perd on cherche toujours une excuse et les erreurs d’arbitrage sont souvent un prétexte facile…

Nice – Bastia (1) ?

De quoi parlez-vous ?

Etes-vous sensible à la critique ?

Celle des journalistes ? Non… Je fais très attention aux remarques de mes camarades, et surtout à celles de mon entraîneur. Je ne suis dupe de rien, ni de la flatterie excessive, ni des propos sévères. Je me connais et je sais ce que je mérite.

Le football évolue-t-il dans le bon sens ?

Le football c’est la vie. Je ne crois pas qu’il soit plus beau aujourd’hui qu’hier. Il est différent. Le souci d’efficacité et de rendement dominent le monde. On étudie tout et on prévoit tout. Le football est sur ordinateur et les grands joueurs programmés. Cruijff et Blokhine symbolisent à merveille le jeu 76.

« Il n’y a sûrement pas meilleur que St-Etienne sur le plan collectif »

Comment situez-vous le football yougoslave en 1976 ?

Nous avons pas mal de bonnes équipes mais pas de grande équipe. La sélection nationale est fidèle à l’esprit d’une école. Notre football est toujours bien équilibré, technique, physique et tactique ne débordant pas l’un sur l’autre. Cela dit les hommes d’expérience donnent toujours le ton. Les jeunes sont bons mais nous ne possédons pas un espoir exceptionnel capable de révolutionner l’Europe à brève échéance.

Le fait de jouer à l’étranger ne vous pose-t-il pas un problème ainsi qu’à vos camarades Djazic (Bastia) ou Oblak (Schalke) ?

Nous sommes toujours très bien accueillis par nos partenaires de la sélection et le public nous soutiennent sans la moindre retenue.

Quand avez-vous joué le meilleur match de votre carrière ?

Je crois que c’est à l’occasion de Yougoslavie – Espagne en février 74. Nous avons gagné 1-0 dans un style flamboyant et j’ai marqué le but de la victoire, celui de la qualification en Coupe du Monde. Tout pour être heureux.

Un ou deux noms de joueurs qui ont influencé votre jeu ?

Osim et Jacky Charlton. L’un m’a donné l’exemple du football collectif, clair et net, l’autre m’a montré qu’un défenseur bien placé en valait deux.

Que dites-vous de l’A.S.St-Etienne à vos amis yougoslaves ?

Qu’il y a peut-être plus grand que Lopez, plus élégant que Bathenay, plus brillant qu’Hervé Revelli, plus efficace que Larqué mais qu’il n’y a sûrement pas meilleur que St-Etienne sur le plan collectif. C’est une équipe exemplaire pour laquelle j’ai beaucoup de respect.

Curkovic ?

Un modèle, un équipier total. On dit qu’il travaille comme un fou. Tous les gardiens yougoslaves sont comme ça.

Un tiercé dans l’ordre des meilleurs joueurs européens actuels ?

Cruijff qui fait toujours passer un courant électrique dans l’équipe où il joue. 2. Beckenbauer, la classe, encore la classe 3. Blokhine, l’ailier type 1976.

« Markovic impose simplement un travail logique et réaliste à des footballeurs bien payés pour exercer un métier merveilleux. »

Avez-vous le trac ?

Jamais. Je réfléchis à un match important sans me faire une montagne de l’événement. Mes nuits sont toujours sereines et très souvent prolongées tard dans la matinée. Oui, je dors parfois quinze heures d’affilée… C’est indispensable à mon équilibre et à l’exercice d’un métier où il faut se dépasser. Je ne suscite aucune inquiétude autour de moi. Vous ne me verrez jamais tourner en rond dans un vestiaire où je me mets en tenue sans le moindre geste de nervosité. J’entre toujours sur la pelouse la tête froide et je n’ai pas besoin de toucher cette fameuse première balle pour être détendu.

Quel est l’homme qui a eu le plus marqué votre carrière ?

Milan Ribar, l’entraîneur des Cheminots de Sarajevo (Željezničar). Je lui dois le goût du travail et de la chose bien faite, une certaine idée de l’existence, le respect des autres. Milan Ribar m’a montré que l’autorité souriante était essentielle pour conduire des hommes.

A ce propos, deux mots sur Vlatko Markovic…

Il correspond bien à l’idée que je me fais du patron d’une équipe. Markovic connaît son métier comme un international de grande valeur devenu entraîneur après des études approfondies. On dit «Markovic exige beaucoup de ses joueurs» en pensant «beaucoup trop». Cette affirmation me fait sourire. Markovic impose simplement un travail logique et réaliste à des footballeurs bien payés pour exercer un métier merveilleux. De nos jours, il n’y a plus de miracle ni de petits génies. C’est le travail et l’obstination qui comptent avant tout. Ce qui n’empêche pas l’intelligence de faire la différence au bon moment… J’ajoute que la mission de Markovic ne s’arrête pas à l’équipe première mais concerne tout l’O.G.C.N. Il y a un style et une mentalité du plus grand au plus petit. Quand je vois des jeunes en action, je suis tranquille pour l’avenir de mon club. Ils sont très doués, certes, mais surtout instruits et orientés pour un football où les tricheurs n’ont plus rien à faire.

Guillou ?

Un footballeur qui rend les autres meilleurs.

Quelle est la qualité numéro un du footballeur de grande classe ?

Il n’y a pas de qualité primordiale à mes yeux. La force seule n’est rien, la technique seule ne mène pas à grand-chose, la vitesse seule est un coup d’épée dans l’eau. Chacun a un atout maître, bien sûr, mais c’est l’addition des talents qui fait le joueur exceptionnel.

Et celle de l’homme ?

L’honnêteté.

Votre point fort ?

J’ai du nez, ou si vous préférez de l’intuition. C’est capital dans le rôle de libero. Je me trompe rarement sur un mouvement collectif, la longueur d’une passe ou le numéro d’un adversaire.

« Je ne demande rien au public. »

Et votre point faible ?

Je manque un peu de rapidité. Si j’étais plus vite, j’augmenterais considérablement mon rayon d’action. L’important c’est de le savoir et d’agir en conséquence. Je calcule mes coups relativement plus que certains footballeurs capables de démarrer sec ou de revenir à toute allure.

Le public a-t-il beaucoup d’influence sur votre comportement ?

Je ne demande rien au public, mais je sais qu’il attend tout de moi, comme de l’ensemble de l’équipe. C’est la logique du spectacle. Les marques d’encouragement me soutiennent sans être absolument indispensables. Les sifflets réprobateurs ne me touchent guère. Je fais mon métier en donnant le maximum. L’important, c’est la conscience personnelle.

Quels sont vos sports préférés en dehors du football ?

Le handball et le volley-ball que j’ai pratiqué. Le tennis m’intéresse aussi beaucoup, comme le basket.

Et le rugby, qui s’impose bien à Nice ?

Je le regarde à la télé. Je me suis même rendu au stade voir le Racing Rugby Club de Nice. Mais cela ne m’a pas donné envie de le pratiquer.

Etes-vous joueur ?

Les échecs me passionnent et me détendent. Mais j’aime aussi les cartes, les boules et tout le reste. Sans risquer grand-chose.

Pour quel champion avez-vous le plus de respect ?

Je respecte tous ceux qui jouent toujours pour gagner. Des noms ? Nicky Lauda, Merckx…

Etes-vous superstitieux ?

L’homme calme et sans souci n’a pas besoin de se référer à un objet familier ou à un élément quelconque pour être sûr de lui. C’est mon cas. Vous ne me ferez jamais croire, par exemple, qu’un maillot peut porter bonheur…

Deviendrez-vous entraîneur dans quelques années ?

Sûrement pas. Il faut résoudre trop de problèmes et vivre dans l’incertitude. Or, j’aime savoir où je vais…

Votre sentiment sur le football français ?

Les footballeurs français sont au départ aussi qualifiés que la plupart des joueurs des grands pays européens. Il leur manque encore le sens collectif poussé à l’extrême et l’art du football sans ballon. Les entraîneurs font-ils tout ce qu’il faut dans ce sens ? Savent-ils toujours démontrer sur le terrain ce qu’ils exigent en théorie ? Comment obtiennent-ils leur diplôme ? Voilà le genre de questions que je me pose.

Permettez-nous de vous répliquer que les entraîneurs français sont triés sur le volet à travers des stages, très complets et qui font l’admiration de bien des techniciens étrangers.

C’est votre opinion. Je demande à voir.

Le théâtre et le cinéma ?

La compréhension parfaite de la langue m’éloigne du théâtre français. J’aime en général le cinéma. Un peu plus le western car il me simplifie les rôles. Toujours la langue…

« J’ai surtout beaucoup de respect pour l’artisan qui fait quelque chose de ses dix doigts. »

Comment oubliez-vous le football ?

En dormant, sinon j’y pense toujours d’une manière ou d’une autre.

Admirez-vous les hommes célèbres ou ceux qui exercent un métier prestigieux ?

J’ai surtout beaucoup de respect pour l’artisan qui fait quelque chose de ses dix doigts.

Aimez-vous les animaux ?

Oui. J’ai eu un chien à Sarajevo quand je pouvais m’occuper de lui et le voir en liberté. Hélas ! La vie des grandes villes n’est pas faite pour les bêtes…

Une opinion sur Mohamed Ali ?

C’est un sacré personnage. Il fascine les foules. Mais sa puissance est relative. Voyez-vous, on est toujours le Mohamed Ali de quelqu’un. Je suis Mohamed Ali pour mon frère…

Dieu ?

Je préfère répondre en disant que je regarde avec plaisir les fêtes religieuses car elles font la joie de tous les peuples.

Les enfants ?

Je les adore. Le fils de Vlatko Markovic (3 ans) est mon grand copain. Je lui apporte une voiture miniature à chaque visite. Nous jouons au ballon. C’est formidable ! J’aurai des gosses quand je me marierai…

La mer ?

Très attirante… Mais je n’ai jamais pris un bain dans la Méditerranée. Je vais volontiers à la pêche.

Avez-vous un secret ?

Aucun qui ait de l’importance. Mais je sais en garder un si on me le demande.

Etes-vous rancunier ?

Les incidents de terrain s’effacent vite surtout ceux qui sont commis dans le feu de l’action. En revanche, je n’oublie pas un croc en jambe dans l’existence.

Extériorisez-vous vos sentiments ?

J’apprécie un succès sans débordement et je médite sur une défaite sans rien dramatiser. Tout se passe chez moi à l’intérieur. J’ai horreur du cinéma. Ce qui est vrai pour le football l’est pour le reste. Un petit geste bien intentionné vaut mieux que des manifestations démesurées.

« Un regret ? Vous m’avez empêché de faire la sieste. »

Acceptez-vous volontiers une plaisanterie faite à vos dépens ?

Tout est dans l’intention…

Que pensez-vous des sports dangereux, disons les compétitions automobiles ou la corrida ?

Je les regarde volontiers sans éprouver le désir même fugitif d’imiter les héros de l’aventure.

Conduisez-vous par plaisir ou par nécessité ?

La voiture est un moyen mais sûrement pas un but dans un monde où les robots sont trop nombreux. L’amitié ?

Je suis très méfiant dans ce domaine. Je me dis souvent « Pourquoi recherche-t-il mon amitié ? » Il y a tant de déceptions…

La politique vous préoccupe-t-elle ?

J’y prête attention en Yougoslavie. Ici, j’écoute un peu, je lis parfois, mais je laisse filer.

Etes-vous inquiet pour l’avenir du monde ?

Je crois que l’intelligence des hommes finit toujours par l’emporter.

Etes-vous heureux de vivre en France. Votre opinion sur les Français ?

J’ai choisi la France par intérêt professionnel et pour mener une existence agréable. Je suis deux fois comblé, sans oublier que la Yougoslavie est belle… Je comprends bien votre langue et je peux entretenir une conversation à peu près normale avec mes partenaires et mes connaissances. Alors… Les Français ?

Des gens très heureux mais critiques pour un oui ou un non.

Avez-vous un regret ?

Aujourd’hui ? Oui… Vous m’avez empêché de faire la sieste.

Avons-nous oublié une question à laquelle vous auriez aimé répondre ?

C’est votre problème, pas le mien.


Vu par Markovic :

« Katalinski est un fils de paysan au sens le plus noble du terme. Il connaît la valeur du travail et le respecte comme un homme qui n’est pas arrivé facilement. Katalinski est honnête et possède l’intelligence du cœur. Il a des élans étonnants avec ses proches. Mon fils attend ses visites avec impatience. Il sait que son ami jouera deux heures avec lui s’il le faut, alors que je suis incapable de tenir dix minutes ! Oui, un homme remarquable. Une force tranquille. La sécurité. »

Football Magazine. Mai 1976. Par Max Urbini.

Les photos de la saison 1975/1976 à voir en cliquant ici.

(1) Le journaliste évoque un match de coupe de France récemment joué par Nice à Furiani où des joueurs niçois, dont lui, ont été victimes d’agressions de la part des supporters corses.

Les photos associées à l’article :

Josip Katalinski OGC Nice
Encore célibataire, Josip Katalinski n’hésite pas à se mettre aux fourneaux pour inviter ses amis.
Josip Katalinski OGC Nice
Partie de foot endiablée entre Katalinski et le fils de Vlatko Markovic.
Josip Katalinski OGC Nice
« Les échecs me détendent »… Partie entre Josip Katalinski et Vlatko Markovic.

Josip Katalinski OGC Nice

Josip Katalinski OGC Nice

Josip Katalinski OGC Nice
Jean-Marc Guillou et Josip Katalinski sur le port de Nice.
Josip Katalinski OGC Nice
Josip Katalinski et le fils de Vlatko Markovic.

Josip Katalinski OGC Nice