[Interview]

« À NICE, JE JOUAIS POUR LE PUBLIC ! »

Milos Djelmas OGC Nice

Belgrade, le 16 septembre 2022. Milos Djelmas, virevoltant attaquant Serbe, est arrivé à Nice en 1987. Trois saisons et quatre-vingt-six matchs plus tard, il quittera le Gym lors d’une brûlante soirée de mai 1990, après avoir fait chavirer le Ray avec son compère Roby Langers et maintenu son équipe en Division 1. Trente-deux ans plus tard, c’est le Gym qui rend visite à Milos. Et c’est cette idée, autant que celle d’assister au match face au Partizan, qui m’a motivé à quitter notre magnifique Comté pour rejoindre les inquiétants Balkans. Après quelques coups de téléphone, rendez-vous est pris pour une rencontre dans son repaire, un café situé dans le quartier de Cubura, à quelques encablures du centre-ville.  Me voilà assis en face de lui, non sans émotion, la vue de son visage barbu me renvoyant instantanément à mes vingt ans. Je me revois encore l’applaudir à tout rompre lorsqu’il foulait la pelouse du Ray… Mais il faut que je me ressaisisse si je veux être en capacité de lui poser les questions méticuleusement préparées durant mon vol jusqu’à Belgrade.

Milos, que représente Nice pour toi ?

Nice, c’est chez moi. C’est ma maison ! Cette ville représente quelque chose de très spécial pour moi. Je n’y ai que des bons souvenirs. Je prenais du plaisir dans tout ce que je faisais, au niveau du football comme au niveau de la vie au quotidien. Nice est une très belle ville, je faisais ce que j’aimais le plus, jouer au football… C’était le bonheur ! En plus, Nice sera toujours spécial pour moi parce que ma fille et mon fils y sont nés. J’appréciais aussi beaucoup les supporters et je pense que c’était réciproque. De toutes manières, sur le terrain, c’est pour le public que je jouais.

C’est-à-dire ?

C’est ma vision du football. Pour moi, ça doit être un spectacle qui doit plaire aux supporters. Il faut gagner, d’accord, mais il ne faut pas oublier la notion de plaisir. J’ai toujours voulu m’amuser. Dribler pour marquer, d’accord, mais je driblais aussi pour le plaisir des supporters : des petits ponts, des grands ponts… Et si les supporters niçois se souviennent autant de moi encore aujourd’hui, je pense que c’est aussi grâce à mon style de jeu.

De nos jours, la recherche de la performance et du résultat passe avant tout. Tu pourrais encore jouer aujourd’hui ?

Oui, parce que j’avais la technique, mais j’étais aussi rapide. Je pourrais m’adapter au football actuel.

Mais si ton entraîneur te dit : « Milos, tu arrêtes de dribler ! » ?

Non, là, je ne pourrais pas jouer ! Jouer sans dribler, c’est impossible pour moi. Attention, je jouais aussi pour le résultat mais sans oublier la notion de spectacle ! Les deux me semblent conciliables.

Tu pouvais être exceptionnel, comme lors du match de barrage face à Strasbourg en 1990, mais tu pouvais aussi faire preuve d’une certaine irrégularité. Comment l’expliques-tu ?

En fait, j’avais un poste très excentré. Je jouais sur l’aile droite, ce qui fait que mon jeu dépendait des autres joueurs. Si le milieu de terrain orientait le jeu vers mon côté, je recevais les ballons. S’il orientait le jeu de l’autre côté, je n’avais pas de ballon à jouer… D’où cette impression que je jouais par période.

Milos Djelmas OGC Nice 1987
L’équipe type de la saison 1987/1988 : en haut, de g. à d. : Amitrano, Rico, Blanc, Curbelo, Oleksiac, Djelmas. En bas : Elsner, Massa, Guerit, Bravo, Kurbos.

Tu aurais voulu jouer plus au centre, pour avoir davantage de ballons à jouer ?

Non, à l’époque, ailier droit était mon poste. C’est dans cette position que je jouais au Partizan. Mais lorsqu’après Nice, j’ai joué à Hanovre, je jouais aussi avant-centre. Et avec le jeu très direct des Allemands, ma vitesse m’a permis de bien me débrouiller aussi à ce poste.

Au Partizan, ton entraîneur était déjà Nenad Bjekovic. C’est lui qui t’a convaincu de venir à Nice ?

Oui. Nenad a été mon entraineur durant sept ans. Cinq ans au Partizan et deux ans à Nice. En fait, j’étais déjà en contacts très avancés avec Nantes, qui m’avait repéré lors d’un match de coupe d’Europe joué contre le Partizan. Nantes me proposait un beau contrat, mais lorsque Nenad m’a appelé pour me proposer de venir avec lui à Nice, je n’ai pas hésité une seconde, même si le contrat proposé par l’OGC Nice était moins intéressant financièrement. Pourtant, Nantes avait une belle équipe à l’époque avec Ayache, Burruchaga, Amisse, Touré…

Tu as connu d’autres clubs avant de jouer au Partizan ?

Le Partizan a été mon premier club professionnel. De 11 ans à 18 ans, je jouais dans un autre club de Belgrade, l’OFK Belgrade. Puis j’ai signé dans un club de quatrième division, mais avec de nombreux très bons joueurs. En fait, c’est un club où signent tous les joueurs qui ne sont pas pris par le Partizan, l’Étoile Rouge ou l’OFK mais qui veulent rester vivre à Belgrade. Les matchs avaient lieu le dimanche matin mais le stade était toujours plein. On a joué des matchs amicaux contre le Partizan, l’Étoile Rouge et l’OFK et j’ai été repéré. Le premier club à me contacter directement a été le Partizan. J’ai donc signé avec eux. Ça tombait bien puisque j’ai toujours été supporter de ce club…

« Les supporters niçois sont les bienvenus à Belgrade. »

Comment es-tu devenu supporter du Partizan ?

Tout simplement parce que mon père était lui-même supporter de ce club… Et moi, j’ai aussi transmis ça à mes enfants.

Quelle est la différence entre un supporter du Partizan et un supporter de l’Étoile Rouge ?

Aucune ! C’est comme si tu demandais quelle est la différence entre un supporter de l’Inter et du Milan AC… C’est quelque chose qui se transmet par les parents ou parce que gamin, tu fréquentais un groupe de copains qui étaient supporters de ce club. Aujourd’hui, les relations entre les supporters des deux clubs sont plus tendues qu’à mon époque. Lorsque j’étais jeune, j’allais voir le derby avec des amis supporters du Partizan et d’autres de l’Étoile Rouge. On restait ensemble pendant le match et ça ne posait pas de problème. Maintenant, c’est impossible. Idem lorsque j’étais joueur du Partizan. Les joueurs de l’Étoile Rouge étaient mes amis. Marko Elsner, Dragan Stojkovic, Dragiša Binić venaient manger à la maison et ça ne dérangeait personne. Aujourd’hui, c’est impossible pour un joueur d’un club de fréquenter un joueur de l’autre club. Les supporters ne l’accepteraient pas.

Comment expliques-tu cette évolution ?

Ça s’explique par des raisons politiques. Tu sais, la situation politique est très particulière chez nous…

À Nice, le déplacement à Belgrade était craint parce que les supporters du Partizan ont mauvaise réputation… Qu’en penses-tu ?

Les supporters du Partizan ne sont pas dangereux. Les supporters niçois sont les bienvenus ici. Belgrade est une ville où tu peux t’amuser en semaine autant que le week-end. Beaucoup de touristes viennent ici et il n’y a aucun problème…

Beaucoup gardent en mémoire le décès en 2008 de Brice Taton, supporter toulousain décédé suite à une bagarre avec des supporters du Partizan…

Je sais ce qu’il s’est passé… Je connais quelqu’un qui était présent sur les lieux lorsque ça s’est passé.  C’est très triste, mais ce n’est en aucun cas représentatif du niveau de sécurité et ça ne justifie pas la peur qu’on pu ressentir les supporters niçois pour venir à Belgrade…

« À la fin du premier repas, je fais comme d’habitude : j’allume une cigarette… »

Revenons à ton arrivée à Nice, en 1987… Quelles ont été tes premières impressions lorsque tu as découvert Nice ?

C’est une ville magnifique. Je me souviens surtout que j’ai eu de suite un bon contact avec les autres joueurs. Il y avait une très bonne ambiance dans l’équipe. J’étais proche de Marko Elsner, évidemment. J’habitais dans un immeuble à Fabron. J’étais au RDC et lui au premier étage… Je me souviens des parties de belotte entre moi et Marko contre Roger Ricort et René Marsiglia… Je m’entendais très bien aussi avec Mattio, N’Dioro, Bocandé, Bravo, Oleksiac, Rico. On était toujours ensemble… La première saison (1987/1988) a été moyenne en termes de jeu, mais la deuxième saison, on a très bien joué… Après, le club a cassé l’équipe en vendant de nombreux joueurs et ça a été plus difficile… Ah oui, une chose m’a surprise lorsque je suis arrivé. On était en stage de préparation et à la fin du premier repas, je fais comme d’habitude : j’allume une cigarette… Tous les autres m’ont dit : « Mais tu es fou ! ». J’étais surpris parce qu’à Belgrade, toute l’équipe fumait à table après les repas…

Milos Djelmas OGC Nice
Au centre d’entraînement, de gauche à droite : Kurbos, Macri, Elsner, Djelmas.

Peux-tu nous parler de Marko Elsner ?

On était toujours ensemble à Nice… Marko était un grand joueur, avec une superbe mentalité. Après, on s’est un peu perdus de vue. Je sais qu’il est resté quelques années à Nice avant de revenir à Ljubljana, en Slovénie.

Quel genre d’entraîneur était Nenad Bjekovic ?

Qu’est-ce que tu attends que je te dise ? Qu’il était bon, moyen, mauvais ? (Rires)

Non… Juste savoir par exemple s’il laissait beaucoup de liberté aux joueurs sur le terrain ou avait-il des consignes strictes ?

Non, il laissait de la liberté aux joueurs. Après, il attendait que les joueurs fassent leur travail. Lorsque les résultats étaient là, ça allait, mais lorsqu’ils n’étaient pas là, il pouvait être dur avec les joueurs.

Nous en venons au match de barrage face à Strasbourg, le 29 mai 1990. C’est un match très particulier dans l’Histoire du Gym mais était-il particulier pour toi aussi ?

Oui, je vais t’expliquer… C’était Carlos Bianchi, l’entraîneur. Avant le premier match à Strasbourg, on était partis trois jours au vert dans la région strasbourgeoise. D’habitude, j’étais titulaire dans l’équipe. Lors du dernier entraînement, on fait un exercice attaque/défense où je marque quatre ou cinq buts. Après ça, Carlos Bianchi désigne onze joueurs et je n’en fais pas partie… Je peux te dire que j’étais très déçu. De colère, je me suis mis sur le bord du terrain et je me suis allumé une cigarette. J’ai même refusé d’être remplaçant. J’ai dit que j’avais mal au genou, ce qui n’était pas vrai, mais j’étais très énervé… Le président Innocentini est venu me voir et je lui ai dit que je ne jouais pas parce que j’étais blessé. Il me regarde et me dit : « Ne t’en fais pas, tu joueras le match retour. »

Milos Djelmas OGC Nice
Jean-Philippe Rohr et Jacky Bonnevay félicitent Milos Djelmas.

Et tu as bien été titulaire au match retour…

Le matin du match retour, Mustapha El Hadaoui, un joueur technique avec qui j’aimais d’ailleurs beaucoup jouer, passe chez moi. Il me dit qu’il a parlé avec Carlos Bianchi qui lui a dit que je ne serai pas titulaire ce soir. On se retrouve pour la réunion d’avant match et là, je vois que je suis finalement titulaire. Entre temps, le président Innocentini avait parlé à Bianchi. On m’a dit que Jean-Philippe Rohr serait aussi intervenu pour que je démarre le match…

« Ce soir-là, les supporters ont été phénoménaux. »

Comment as-tu vécu ce match ?

Bizarrement… On savait que ça allait être difficile. Durant toute la saison, on n’avait marqué qu’une fois deux buts dans un match… Là, on était obligés d’en marquer au moins deux pour se sauver. Je savais que c’était mon dernier match avec Nice. Malgré la pression, je me suis dit que j’allais jouer pour les supporters et pour mon plaisir. Jouer le football que j’aime, avec de la technique et du spectacle. Pourtant, lors du premier quart d’heure, je n’ai pas touché un seul ballon !

Milos Djelmas OGC Nice
29 mai 1990. Milos Djelmas survole la défense strasbourgeoise. Photo dédicacée !

Ça s’est arrangé par la suite…

Oui, après, ça a été la délivrance pour tout le monde. Ce soir-là, les supporters ont été phénoménaux, extraordinaires… Le stade du Ray était plein, ils étaient à fond derrière nous. Quel souvenir ! En fin de match, je suis sorti en prétextant une blessure. Mais je voulais juste que Tony Kurbos puisse entrer en jeu et participe à la fête. En plus, c’est lui qui délivrera la dernière passe décisive à Jules qui marquera le sixième but.

Après ce match, tu étais en fin de contrat…

Je suis resté un an et demi sans jouer, sans même faire de sport. J’avais perdu toute motivation. Je pensais même arrêter ma carrière… Puis un jour, un ami parle de moi au président du club de Hanovre, en Allemagne. Celui-ci est d’accord pour me prendre. C’est comme ça, presque par hasard, que je retrouve le chemin des terrains de foot. Malgré mon interruption d’un an et demi, j’arrive à retrouver le niveau rapidement. Le club évoluait en deuxième division. J’y ai joué jusqu’en 1994 et j’ai même remporté la coupe d’Allemagne en 1992.

Par la suite, tu as pensé devenir entraîneur…

Oui, j’ai arrêté ma carrière de joueur en 1994 et je me dirigeais vers le métier d’entraîneur. Je voulais exercer en Allemagne, mais le diplôme était inaccessible pour moi parce qu’il fallait savoir écrire l’allemand. Je leur ai dit : « Je peux répondre à n’importe quelle question en Allemand. Faites-moi passer l’épreuve écrite à l’oral ! » Ils n’ont jamais voulu. Du coup, j’ai laissé tomber ce projet…

Qu’as-tu fait par la suite ?

Je suis rentré chez moi, à Belgrade, et je rends quelques services quand on a besoin d’un avis sur un joueur du coin…

Tu es agent de joueurs ?

Non, je n’ai pas de titre officiel. Disons que je fais ça en tant qu’amateur. Par exemple, en 2010, Éric Roy m’a contacté pour avoir mon avis sur un joueur Serbe qui jouait au Herta Berlin, Nemanja Pejčinović. Il avait des doutes parce que le Herta Berlin était mal classé et que Nemanja n’avait pas fait de très bons matchs. Je lui ai dit : « Il ne joue pas à son vrai niveau. D’abord, l’équipe est très mauvaise et ensuite, on le fait jouer latéral alors que c’est un défenseur axial. Si tu cherches un stoppeur, tu peux le prendre ! » La suite m’a donné raison et j’étais bien content pour Nice. Mais je n’ai rien touché dans cette affaire, hein ! Récemment, j’avais conseillé à un club français d’engager Stefan Savić. Ils ne l’ont pas pris. Aujourd’hui, il est capitaine de l’Atletico Madrid…

« Fournier, puis maintenant Brailsford… Ils ont joué au football ? »

Continues-tu à suivre le Gym ?

Bien sûr ! Je suis tous les matchs, même les matchs amicaux ! Partizan, Nice, Hanovre : ce sont mes trois clubs !

Que penses-tu de l’évolution récente du Gym ?

Je suis venu visiter les installations en 2018. Ça a bien changé ! À mon époque, il n’y avait rien…

Un beau stade, un beau centre d’entraînement, des moyens financiers, mais les résultats attendus tardent à venir. Comment l’expliques-tu ?

Dans un club, celui qui décide doit connaître parfaitement le football. Et comme pour tous les métiers, ce sont ceux qui ont déjà une expérience dans ce métier qui pourront évaluer la qualité d’un professionnel qui l’exerce. D’autre part, celui qui décide doit être en parfaite harmonie avec l’entraîneur. L’entraîneur lui dit de quoi il a besoin pour son plan de jeu et le décideur définit le budget disponible pour l’acheter. Si tu n’as pas ces deux conditions, c’est difficile de réussir. Fournier, puis maintenant Brailsford… Ils ont joué au football ? Leurs choix ont-ils été ceux de l’entraîneur ?… Je pense que tu as déjà un début d’explication sur les difficultés de l’OGC Nice.

Comme je te l’ai dit, je suis aussi ici pour te demander si tu serais d’accord pour devenir membre d’honneur de l’association La Grande Histoire du Gym ?

Merci beaucoup à toi, j’accepte bien évidemment, mais je n’ai pas joué très longtemps à Nice…

Peut-être, mais je peux te dire que tu as marqué les supporters niçois qui t’ont vu jouer et tu as grandement participé au maintien du Gym en D1, en 1990… Je te remets donc l’attestation d’adhésion et l’écharpe de l’association (il se marre…) Oui, on fait les choses sérieusement, hein !

Merci ! Ça me fera un souvenir de Nice puisque je n’ai rien gardé de cette époque… L’écharpe, je vais la donner à mon fils, ça va lui plaire ! Et merci aussi de dire aux supporters niçois qu’ils sont très forts, qu’ils le seront toujours et que je les aime !

Propos recueillis par Serge Gloumeaud

Si vous aussi, vous souhaitez rejoindre l’association La Grange Histoire du Gym, c’est ici : adhésions

Nice-Matin du 30 mai 1990 :

Milos Djelmas OGC Nice

Milos Djelmas sous le maillot niçois :