«Cette ville, j’y pose mes valises et je ne la quitterai plus!»
Par Jean Sérafin, entraîneur du Gym de 1982 à 1987.
Rencontrer Jean Sérafin, c’est faire un voyage dans le temps. Nous sommes en 1982, le maire s’appelle Jacques Médecin et le président du Gym, Mario Innocentini. Christian Estrosi débute dans son nouveau rôle d’adjoint aux sports et on monte au stade à pied. Les supporters pleurent encore les départs de Guillou, Huck ou Baratelli, idoles des années 70, et rechignent à peupler les tribunes du Ray. Il faut dire que l’OGC Nice vient de descendre en deuxième division et que des adversaires tels que Fontainebleau, Montceau ou Thonon ne sont pas de nature à susciter un enthousiasme débordant. Le club est dans un triste état et pour le requinquer, ou tout au moins lui redonner quelques couleurs, les Niçois se lancent à la recherche d’un entraîneur/bâtisseur qui saura conduire son chantier sans grands moyens puisque les caisses sont désormais vides. C’est dans le nord qu’ils le trouveront en la personne de Jean Sérafin, alors coach du RC Lens. Âgé aujourd’hui de quatre-vingt printemps, il accepte sans détours de revenir sur les rebondissements et les histoires abracadabrantesques du Gym des années 80.
Jean Sérafin, on vous considère souvent comme un homme du nord alors que vous êtes né dans l’Ariège et que vous avez grandi en Lorraine!
En effet, mes parents sont originaires de Lorraine mais durant la guerre ils ont rejoint Auzat, un village de l’Ariège, pour fuir la zone occupée par les Allemands. C’est là que je suis né. Une fois la guerre terminée, la famille est remontée en Lorraine où j’ai grandi.
Et c’est là que le football est entré dans votre vie?
En fait, tout jeune, je pratiquais de nombreux sports avec mes copains de classe, dont le football. C’était avant tout un amusement pour moi. Adolescent, j’ai rejoint le club d’un village de Meurthe-et-Moselle qui s’appelle Tucquegnieux et qui évoluait en niveau district, c’est-à-dire un des niveaux les plus bas qui puisse exister… Un jour, un dirigeant du club me propose de participer à une journée de détection pour faire partie de la sélection Cadets de Lorraine nord. À vrai dire, je ne savais pas trop de quoi il s’agissait, mais j’ai accepté et, à ma grande surprise, j’ai été retenu. On me propose ensuite de participer à une autre journée de détection, cette fois pour intégrer l’équipe Cadets de Lorraine. Je me suis retrouvé avec des joueurs qui évoluaient dans des clubs professionnels tels que Nancy et Metz. Là encore, à ma grande surprise, j’ai été sélectionné et je me suis retrouvé titulaire en défense centrale de la sélection! C’est à partir de là que les choses se sont très vite enchaînées. Je suis alors repéré par Valenciennes, une très bonne équipe de D1 à l’époque, qui me recrute et où je reste douze ans. C’était une belle époque où Valenciennes jouait les premiers rôles dans le football français. L’équipe était alors coachée par Robert Domergue, un excellent entraîneur qui m’a d’ailleurs beaucoup inspiré lorsque je suis devenu moi-même entraîneur.
Quel type de joueur étiez-vous?
Je jouais défenseur central ou milieu et j’avais de grosses qualités physiques. Je me souviens que le préparateur physique de Valenciennes avait dit qu’il avait rarement vu un joueur avec une telle détente et une telle rapidité. Mon frère, plus âgé que moi, était professionnel également. Il est malheureusement décédé en mars dernier. En fait, nous sommes deux exceptions dans notre famille qui se trouve être plutôt une famille de musiciens…
Un élève nommé Gérard Houiller
Vous passez ensuite deux saisons à l’US Dunkerque avant de rejoindre Le Touquet pour débuter votre carrière d’entraîneur, alors que vous n’avez que 32 ans…
Très tôt, j’ai su que je voulais devenir entraîneur. Joueur, je prenais énormément de notes sur les exercices que nous proposaient les entraîneurs et sur les discours qu’ils pouvaient faire avant les matchs. C’est Robert Domergue qui m’a encouragé à devenir entraineur. J’ai passé mes diplômes de premier et deuxième degré où j’ai été major de promotion, puis j’ai passé mon troisième degré où seuls trois candidats ont été sélectionnés sur… cent-quarante! Aussi, à la fin de ma carrière de joueur professionnel, lorsque Le Touquet m’a proposé ce poste d’entraîneur-joueur, je n’ai pas hésité, même si le club évoluait en niveau District. En fait, j’avais plusieurs casquettes puisque j’étais entraîneur-joueur du club, mais aussi responsable de l’animation sportive de la ville. Le maire, Léonce Deprez, avait de grandes ambitions sportives pour sa ville. Autant vous dire que je ne comptais pas mes heures… En 1975, j’ai même participé au lancement de la première édition de l’enduro des sables du Touquet, devenue aujourd’hui la plus grande course d’enduro d’Europe.
Comment se déroulent vos débuts en tant qu’entraîneur ?
Plutôt bien puisqu’en six ans, le club est passé du niveau district départementale à la troisième division nationale.
C’est à cette époque que vous croisez la route d’un certain Gérard Houiller…
Comme je vous l’ai dit, au Touquet, j’étais débordé. J’avais besoin de quelqu’un pour coacher l’équipe B. Dans cette équipe, j’avais remarqué un garçon, professeur d’anglais, qui semblait capable de pouvoir m’aider puisqu’il avait des facilités. Je lui propose le poste, mais il me répond «Mais moi, je suis prof d’anglais, je ne comprends rien au ballon!» Je le rassure en lui expliquant que je l’accompagnerai au quotidien, qu’il viendra à la maison pour que je lui explique tout ce qui touche à la préparation physique, l’animation tactique, etc… Ainsi, pendant deux ans, il venait régulièrement à la maison et en contre partie de mes conseils, il donnait des cours d’anglais à mes enfants! Tout se passe bien et puis, un jour, il vient me voir en larme avec un courrier de licenciement du président. Je ne me souviens plus trop du motif, mais je le rassure en lui disant qu’il n’y a pas que Le Touquet dans le foot et qu’une fois ses diplômes passés, je le mettrai en relation avec des personnes à la Ligue pour promouvoir sa candidature auprès d’autres clubs. Au final, il sera recruté par Noeux-les-Mines. Entre-temps, j’étais devenu responsable du centre de formation de Lens et je faisais en sorte que nos meilleurs jeunes le rejoignent, ce qui a participé à ses bons résultats là-bas. Bon, nos relations se sont quelque peu détériorées par la suite, mais je pense que l’on peut dire que je suis celui qui lui a mis le pied à l’étrier.
Quant à vous, vos résultats au Touquet vous permettent d’être remarqué par des clubs professionnels, dont le RC Lens que vous rejoignez en 1979…
Je signe un contrat de trois ans : deux ans en tant que responsable du centre de formation, puis une saison en tant qu’entraîneur. À la fin de la saison 1981/1982, je suis donc en fin de contrat avec Lens, qui finit le championnat à la treizième place de D1, et je reçois des propositions de quelques clubs, dont l’OGC Nice.
Comment se sont déroulés les premiers contacts avec le Gym?
À la fin de la saison 1981/1982, l’OGC Nice est très mal et descend en D2. Le président Mario Innocentini recherche un entraîneur et demande conseil auprès du Directeur technique national de la FFF, Georges Boulogne. Celui-ci lui glisse mon nom… Mario Innocentini m’appelle et me demande si le poste m’intéresse. Je lui réponds par la positive et dans la foulée, je suis reçu à Nice par le comité directeur du club qui me pose des questions et s’intéresse notamment à ma façon de travailler. Je leur explique que je compte m’appuyer sur le centre de formation qui dispose d’un bon réservoir de jeunes tels que Whatelet, Jannuzzi, Oltra… Après l’entretien, je suis reconduit à l’aéroport par un dirigeant qui me dit: «Il y a plusieurs candidats (j’apprendrai que Lucien Muller, qui deviendra ensuite entraîneur de Monaco, faisait partie de la liste), mais je crois que vous tenez la corde ! » Devant mon air étonné, il poursuit: « Vous nous avez tous surpris. Vous nous avez donné des noms de joueurs que la plupart d’entre nous ne connaissons pas!» Je n’avais pourtant pas de mérite puisqu’en tant que responsable du centre de formation de Lens, j’assistais à tous les tournois nationaux, ce qui m’avait permis de remarquer ces joueurs, comme ceux des autres clubs professionnels…
«À Nice, il y a tout pour bien vivre et bien travailler!»
Vous quittez donc le grand nord et Lens qui évolue en D1 et pour rejoindre le grand sud et Nice qui descend en D2. Ce «grand écart» peut paraître surprenant. Qu’est-ce qui vous attirait à Nice?
L’histoire du club, la ville, la région… En venant à Nice, je me rapprochais aussi de mes origines italiennes. Mon père est né dans la région de Trévise et ma grand-mère était de Bolzano. Le fait que le club était redescendu en D2 m’importait peu. Ce qui m’intéressait, c’était surtout le rapport avec le président et la présence d’un projet cohérent avec des objectifs précis. C’est ce que proposait Nice.
Vos premières impressions sur Nice à votre arrivée?
«Cette ville, j’y pose mes valises et je ne la quitterai plus!» C’est textuellement ce que j’ai dit à ma femme après avoir passé quinze jours ici. La mer, le ciel bleu, la qualité de vie, l’historique du club: il y a tout ce qu’il faut ici pour bien vivre et bien travailler. Même si je suis parti entraîner d’autres clubs après l’OGC Nice, j’y ai toujours gardé mon appartement et j’y revenais régulièrement pour retrouver ma famille. Aujourd’hui, je suis retraité et je vis à Nice dans une maison située… avenue du Ray!
Quel est votre avis sur le club que vous découvrez à votre arrivée en 1982?
Lorsque je suis arrivé, le club était un cimetière. Tous les grands joueurs des années 70 étaient partis et il ne restait plus grand monde… Le problème, au début, c’est que tout le monde faisait sans cesse le parallèle avec les joueurs de la décénnie précédente. «Avec Jouve, Bjekovic, Katalinski, etc… c’était différent! On voyait du jeu offensif…» Mais le club n’avait plus les mêmes moyens et il fallait obtenir de bons résultats rapidement. Je me suis donc appuyé sur des joueurs que je connaissais parfaitement et en qui je pouvais avoir confiance. J’ai fait venir des bons joueurs du nord que j’avais connu à Lens ou Valenciennes tels que Lefebvre, Françoise, Joly, Saab, Metsu…
En terminant à la troisième place lors de votre première saison (1982/1983), le club manque de peu les barrages pour monter en D1. C’était une déception?
On termine troisièmes alors qu’on est resté longtemps leaders. Je pense qu’on a perdu le championnat lorsqu’on est battus à Reims lors de la 27ème journée. Si on avait fait un bon résultat là-bas, on passait! C’était une déception, bien évidemment, mais l’objectif du club n’était pas la montée immédiate. L’objectif était surtout d’avoir un effectif qui tienne la route, puis de le consolider la deuxième saison et de monter la troisième saison. C’est ce qu’on avait projeté avec Innocentini et c’est exactement ce qui s’est passé.
Lors de votre deuxième saison (1983/1984), vous parvenez à accrocher les barrages. Le premier tour de barrage se joue sur un seul match au Ray face au Havre…
Peu s’en souviennent, mais c’était pourtant un match fabuleux! On termine le temps règlementaire à 2-2 et on est menés pendant la prolongation (2-3). Puis Guy Mengual égalise (3-3)… Là, il reste dix minutes à jouer et je tente un coup de poker: je fais sortir Colbert Marlot, un jeune attaquant que j’avais fait entrer dix minutes plus tôt, pour faire entrer un défenseur et faire monter Carlos Curbelo, notre défenseur central, au poste d’avant-centre. Sur le coup, je pense que tout le monde m’a pris pour un fou. Pourtant, cinq minutes plus tard, c’est Michel Joly qui nous donne la victoire de la tête sur un centre de… Carlos Curbelo (4-3)!
«Je vais tout te dire…»
Puis arrivent les tristement célèbres matchs de barrage contre le Racing Club de Paris. Au match aller, le 28 avril 1984, le Gym s’impose sans trembler 2-0 au Ray. Au match retour, le 5 mai 1984 au stade de Colombes, tout se passe bien, mais un orage terrible éclate à la pause. À la reprise, Gilbert Marguerite ouvre le score, permettant au Gym de mener 3-0 sur les deux matchs…
À ce moment-là, l’arbitre fait rentrer les joueurs aux vestiaires et attend une quinzaine de minutes, le temps que l’orage se calme. Mais alors que la pluie cesse, l’eau continue de stagner sur le terrain, créant d’immenses flaques. Dans les couloirs du vestiaires, on entend des éclats de voix, sans savoir de quoi il s’agit réellement. Je comprendrai plus tard… Finalement, devant ce terrain transformé en marre, l’arbitre décide d’arrêter le match, à notre grande déception bien évidemment… Le lendemain matin, je partais de Paris pour l’Ecosse pour superviser un attaquant des Rangers, Ally Mc Coist. Comme je connaissais bien l’un des entraineurs adjoints du Racing, je lui ai demandé s’il pouvait me déposer à l’aéroport le lendemain matin, ce qu’il accepta. Il est passé donc me prendre à l’hôtel et sur le chemin, il me fait une drôle de remarque : «Il n’y a pas quelque chose qui t’a étonné hier?» Devant mon air interrogatif, il précise : «Tu n’as pas trouvé bizarre que l’eau stagnait sur le terrain et n’arrivait pas à s’infiltrer?» Je lui confirme mon étonnement, d’autant plus qu’en tant qu’anciens joueurs du nord, on a souvent eu affaire à des orages sans pour autant que le terrain ne deviennent impraticable à ce point. «Je vais tout te dire…» Il m’explique alors que la pelouse de Colombes venait d’être refaite avec un système de bac d’eau situé sous la pelouse qui lui permettait d’être humidifiée par capillarisation en cas de temps trop sec. Quinze jours avant notre match, il faisait une chaleur torride à Colombes et ils avaient rempli le bac. Quand il a plu le jour du match, l’eau de pluie ne pouvait pas s’évacuer car elle était bloquée par l’eau du bac située sous le terrain. La solution aurait été simplement d’ouvrir les vannes pour vider le bac. C’est ce que le jardinier a voulu faire, mais il s’est fait enguirlandé par les dirigeants du Racing qui l’en ont empêché. La voilà donc l’explication quant aux éclats de voix entendus dans le vestiaire lors de l’interruption du match… Il faut dire que ce match avait un gros enjeux pour le Racing qui venait d’être racheté par le milliardaire (et influant) Jean-Luc Lagardère qui avait le projet de monter une grande équipe à Paris…
Le match fut donc rejoué cinq jours plus tard, le 10 mai 1984…
Là encore, un but de Larsson en première mi-temps nous permet de mener 3-0 sur l’ensemble des deux matchs. Ce que je reproche alors à l’arbitre, c’est d’avoir refuser un quatrième but pour nous. En fait, Biguet accepte d’abord le but de Mengual, mais un hors-jeu de position de Marguerite est signalé par un juge de touche. Et le comble, c’est que ce juge de touche, c’est un super copain qui est né à Auzat, comme moi, et qui a marié la fille de ma marraine! Je lui crie : «Oh Jean! Mais qu’est-ce que tu fais? Si ce but a une incidence sur le résultat final, tu vas m’entendre!» Il me répond: «Tais-toi ou je te mets un rapport au cul!» Et en plus, il me l’a filé ce rapport et j’ai pris deux mois de suspension! Si ce but avait été accordé, c’était plié. Ce que je reproche aussi à l’arbitre, c’est le temps de jeu… À l’époque, on jouait 90 minutes, point! Les arrêts de jeu n’existaient pas… Là, à la 90ème minute, on était à 3-1 (but du Racing sur pénalty à la 79ème) et on était qualifiés. On se lève avec le président Innocentini et le secrétaire général Mateudi et on hurle: «C’est fini monsieur l’arbitre!» Les joueurs font de même sur le terrain. Mais l’arbitre n’arrête pas de crier : «Jouez, jouez !» À la 93ème minute, un attaquant parisien déborde sur le côté droit et le ballon sort au moins d’un mètre derrière la ligne. Les défenseurs s’arrêtent de jouer mais sur le centre, le Racing marque de la tête… et l’arbitre accorde le but! On menait toujours 3-2 sur les deux matchs, mais à la 95ème minute de jeu, le milieu parisien Ben Mabrouk entre dans la surface tel un bulldozer, écarte littéralement des bras Jannuzzi puis Joly et frappe du pointu. Amitrano est masqué et ne voit pas le ballon… but! On se retrouve à égalité 3-3 sur les deux matchs…
Dans quel état étiez-vous à ce moment-là?
On n’en croit pas nos yeux, mais au coup de sifflet final, on se retrouve à égalité (3-3) sur l’ensemble des deux matchs. Mais comme on a marqué un but à l’extérieur, on pense que c’est terminé et que nous avons gagné! Là encore, coup de théatre, l’arbitre nous annonce les prolongations! Devant notre étonnement, il nous explique que le règlement a changé, sans pour autant nous montrer le texte qui annonce ce changement!
«J’ai cru que Pascal Françoise allait le fracasser!»
Quelle a été la réaction des joueurs ?
Dans les vestiaires, je revois encore Pascal Françoise prendre une armoire métallique à bout de bras alors que Biguet passe devant nous… J’ai cru qu’il allait le fracasser, mais Mateudi l’en a empêché. Les joueurs me disaient : « Coach, on n’y retourne pas. Y-a qu’à leur donner le match! On gagnera jamais, c’est pas possible! » On est revenus sur le terrain, mais on ne jouait plus… C’était un sacré match! Quel souvenir…
Heureusement, la saison suivante (1984/1985) sera la bonne!
Après les deux saisons qu’on venait de passer, c’était difficile au niveau psychologique… Pourtant, on réalise un bon championnat, mais on a un coup de mou à quatre journée de la fin. Lyon vient s’imposer chez nous alors qu’on y était invaincus depuis trois ans! Du coup, Saint-Étienne gagne et nous passe devant grâce à un meilleur goal-average. Lors de l’avant-dernière journée, on bat Thonon 6-0 au Ray alors que Saint-Étienne perd à Montpellier. Le dernier match à Grenoble sera décisif. En cas de match nul ou de victoire, on montera en D1…
La pression devait être incroyablement forte. Comment avez-vous réussi à la gérer ?
En fait, on est tellement dans l’action qu’on ne réfléchit même pas. C’est lorsque j’y repense que je réalise la pression que nous avions sur les épaules… J’ai réussi à gérer cette pression alors qu’aujourd’hui, je ne parviens pas à dormir parce que j’ai un lavabo bouché et que le plombier tarde à venir! C’est assez incroyable, non?
À Grenoble, tout se passe finalement bien…
On avait très bien préparé ce match et surtout, on l’avait bien démarré puisqu’on mène rapidement 1-0 grâce à un but de Lefebvre. Avant la mi-temps, Dominguez marque un deuxième but et au début de la deuxième période, Marguerite marque un troisième but. Pourtant, les Grenoblois reviennent quand même à 3-2!
Après le deuxième but de Grenoble, vous repensez encore aux barrages face au Racing ?
Forcément… Et on se dit: «Non! Mais ça va pas encore recommencer! » À côté de moi, il y avait Albert Gal, notre kiné. Il me regarde et me dit : «J’ai peur!» On n’en menait pas large parce qu’il restait encore quelques minutes à jouer…
Que ressentez-vous au coup de sifflet final?
C’était l’euphorie parce qu’on avait vécu trois années très dures et tendues. En plus, on ne parlait que de Saint-Etienne ! Si vous aviez vu les articles et les prises de position des journalistes qui prenaient fait et cause pour Saint-Etienne… Quand on arrive à Grenoble, on croise Thierry Rolland qui était venu commenter un match de boxe la veille. Et le lendemain, il partait à Saint Etienne pour faire une émission en directe pour… la remontée des Verts en D1! Dans son idée, on serait battus et Saint-Etienne allait gagner et serait promu… Il m’a même dit: «On va à Saint-Étienne parce que la victoire est là-bas!» Peu après, le président Innocentini croise le président de Grenoble et lui souhaite un bon match, ce à quoi le président grenoblois répond : «Merci, mais de toutes façons, vous ne gagnerez pas. On va faire jouer la solidarité régionale!»
«Jorge, tu m’as fait cocu!»
Trois ans après l’avoir quittée, le Gym retrouve enfin la D1. Vous vous souvenez du premier match de cette saison 1984/1985?
Bien sûr! Je me souviens surtout de la surprise du chef: Dominguez, notre meilleur buteur et celui qui fut d’ailleurs le meilleur buteur de la deuxième division la saison précédente, nous fait faux bon! Durant l’été, on était en stage à Saint-Martin Vésubie pour un stage d’avant saison. Il vient me voir et me demande : «Coach, est-ce que je peux descendre à Nice pour voir le président parce qu’il y a un problème financier. Il était prévu que mes parents touchent de l’argent, mais ils n’ont rien reçu.» Je lui ai dit que je ne m’occupais pas des problèmes d’argent… Bref, il part quelques jours et revient en me disant que le problème était réglé. Arrive le dernier entraînement avant le match à Bordeaux, je donne la composition de l’équipe, avec Dominguez, bien évidemment. Au moment où je quitte le centre d’entraînement en voiture, je le croise… «Coach, demain je ne viens pas! Finalement le problème d’argent avec mes parents n’est pas réglé.» Je n’en reviens pas… J’appelle le président Innocentini qui me rassure en me disant qu’il allait lui parler pour arranger ça et qu’il jouera bien à Bordeaux. Dans le doute, j’avais quand même prévu un joueur de plus… Et j’ai bien fait puisque le lendemain, à l’aéroport, Dominguez n’était pas là! On part donc jouer chez le champion de France sans notre meilleur buteur. On perd 1-0 à Bordeaux, mais on fait un superbe match et je suis sûr que si on avait eu Dominguez, on le gagnait…
Comment se sont passées les retrouvailles avec lui à votre retour à Nice?
Je lui ai dit: «Jorge, tu m’as fait cocu, mais tu as aussi fait cocus tes partenaires, les dirigeants, le club, les supporters, la ville. Tu n’as pas le droit de te comporter comme ça. Je suis obligé de te sanctionner.» Le problème, c’est que je ne pouvais pas donner la raison officielle de son absence, ça aurait été très mal perçu par les supporters… On a donc donné une explication plus édulcorée… Mais cette histoire l’a perturbé. Peu après, face à Marseille, il manque un pénalty et sur le contre, Marseille marque et remporte le match… Ca devenait un peu compliqué pour lui, alors qu’il avait tout pour réussir… Un peu plus tard dans la saison, je me souviens lui avoir dit: «Tu sais Jorge, si tu avais joué avec nous depuis le début du championnat, s’il n’y avait pas eu toutes ces histoires, je suis sûr que tu serais aujourd’hui au même niveau que Bianchi ou Onnis. Tu serais même meilleur qu’eux!» Il avait des qualités extraordinaires… Un super jeu de tête, adroit des deux pieds, un gros physique… C’était un super attaquant. La suite de la saison a été compliquée pour lui. Par la suite, il est parti à Toulon et j’ai réussi à le recruter lorsque j’entraînais Tours. Il nous avait fait beaucoup de bien en attaque. Quant à son faux bond à Bordeaux, finalement, je ne lui en ai jamais vraiment voulu…
Le retour en D1, c’est aussi le retour des derbys face à Monaco. On retrouve les Monégasques au Louis II, le 3 septembre 1985…
… Et on gagne 1-0! Lors de ce match, je suis littéralement en pénurie de joueurs. Je dois donc innover puisque je n’ai plus qu’un attaquant disponible: Gilbert Marguerite! Je décide donc de jouer en 4-5-1 avec un seul joueur en pointe. Lorsqu’il a découvert la composition, Jean Chaussier, journaliste de Nice-Matin, m’a demandé: «Mais comment vous jouez là?» Je lui ai expliqué que je n’avais pas le choix que d’aligner cinq milieux. Mais à l’époque, c’était rare de jouer dans ce schéma tactique. Finalement, ça nous a réussi puisqu’on gagne 1-0 avec un but de notre seul attaquant, Marguerite!
Vous finissez la saison à une excellente huitième place. Cette performance vous surprend-t-elle?
Pas vraiment parce que nous avions un bel effectif avec des joueurs qui n’ont d’ailleurs pas tous été reconnus à leur juste valeur tels que Dréossi, Rico, Bernad, Mège, Amitrano…
À propos d’André Amitrano, on dit qu’il aurait mérité une sélection en équipe de France. C’est votre sentiment?
Bien sûr. Pour tout vous dire, Michel Hidalgo, le sélectionneur de l’époque, m’avait téléphoné à son sujet pour me demander mon avis. Je lui avais dit: «Tu peux le prendre les yeux fermés!» Il m’avait répondu qu’il penserait à lui pour le prochain stage de l’équipe de France, mais il n’a malheureusement jamais été sélectionné… Il avait donc été pressenti pour jouer en équipe de France, ce qui n’était pas étonnant parce qu’il s’était illustré avec nous en championnat et que c’était un excellent gardien de but!
Éric Guérit, d’Angoulême à l’équipe de France
Un joueur que vous avez lancé et qui est devenu ensuite international, c’est Éric Guérit…
Éric Guérit, c’est une histoire extraordinaire! Un jour, Pierrot Neubert, entraîneur à Angoulême (D3), m’appelle et me dit: «Jean, j’ai un joueur extraordinaire dans mon équipe. Il s’entraîne comme une bête et on voit que lui sur le terrain. En match, c’est une vraie machine! Tu devrais l’essayer!» Je lui répond que je suis d’accord, mais lorsqu’il m’annonce qu’il a déjà 23 ans, je suis refroidi… «Attends, pour un club professionnel, c’est impossible de le prendre. Si je le prends, la première année, il ne peut pas signer professionnel. Je suis obligé de lui donner un contrat stagiaire d’un an maximum. Il doit nous convaincre en un an… Et surtout, le directeur du centre de formation a des jeunes à qui il ne va pas donner de contrat pro alors qu’il ont passé cinq ans au club. Prendre quelqu’un qui vient d’Angoulême et qu’on n’a jamais vu jouer… Je vais me mettre tous les parents à dos ! Ils vont me démolir». Il insiste : «Tu fais une erreur! Essais-le!» J’accepte. On va jouer un match amical à Gênes et je le fais jouer. Il avait une drôle d’allure… On aurait dit un bélier! Il a eu une bonne activité sur le terrain, mais il n’a pas fait un match exceptionnel. Le lendemain, Pierrot Neubert me rappelle et je lui dit qu’on n’a pas été convaincus… Mais il ne lâche pas l’affaire: «Il faut que tu le testes à nouveau parce que le contexte n’a pas été bon pour lui…»
Et vous acceptez de lui donner une deuxième chance ?
J’ai hésité, mais je ne voulais pas passer à côté de quelque chose… Je le fais donc revenir pour un match amical et là, il était partout! Devant, derrière, il frappait, il donnait, il avait une activité physique impressionnante! Malgré tout, le président Innocentini n’était pas chaud pour le recruter. «Tous les Niçois vont me tomber dessus si je ne fais pas jouer un jeune de chez nous et qu’on recrute un joueur d’Angoulême!» Je lui dit que sur ce que je viens de voir, il est plus fort que n’importe quel jeune de notre centre de formation. «C’est pas possible!» me répond-t-il. «Si, je vous assure que je n’ai pas d’équivalent au centre!». Il me dit: «Vous en faites votre affaire, mais vous vous occuperez aussi de tous les parents qui vont venir se plaindre!» Je le prends et effectivement, tous les parents ont défilé dans mon bureau… Mais j’ai assumé et je l’ai pris.
La suite vous donnera raison…
C’était un bourreau de travail: il s’entraînait quasiment nuit et jour… Il dormait au centre de formation, participait aux entraînements du centre de formation et à ceux de l’équipe pro. Il ne s’arrêtait pas. Je lui ai même conseillé de ralentir le rythme car je craignais une blessure, mais il me disait toujours : «Deux entrainements par jour, c’est ce qu’il me faut et c’est comme ça que je me sens bien!». Au bout de trois mois, j’ai eu des besoins au milieu de terrain. Je l’ai fait entré et il a plus jamais quitté l’équipe. Deux ans après, il était international!
«Si les supporters m’avaient vu, ils m’auraient certainement lynché!»
La saison 1986/1987 sera votre dernière sur le banc niçois. L’équipe réalise une bonne première moitié de championnat avant de fléchir sur la fin. Le public se plaint du jeu déployé et les mauvais résultats rendent la situation tendue et compliquée pour vous. Le tournant est une défaite au Ray face à Brest (0-4) lors de la 31ème journée… Après cette défaite, vous annoncez que vous quitterez le club à la fin de la saison…
Au classement, la situation n’était pourtant pas si mauvaise. D’ailleurs, si on gagne ce match, il y a encore moyen de lutter pour une place européenne. Mais ma décision de partir n’est pas due uniquement à cette défaite et à ce qu’il s’est passé après le match. C’est vrai que la relation avec les supporters était tendue. Pour pouvoir quitter le stade, il a fallu que je traverse le terrain pour sortir par une autre tribune. Les supporters m’attendaient devant la sortie officielle et s’ils m’avaient vu, ils m’auraient certainement lynché… Mais bon, c’est un incident qui peut arriver. Mais ce n’est pas cette défaite qui me fait quitter le club, même si j’ai bien compris qu’il ne fallait pas commettre trop d’erreurs pour s’attirer les foudres d’un public qui peut être virulent…
Ce sont vos principes de jeu qui étaient remis en cause par les supporters. Comment décririez-vous ces principes ?
Ça me fait toujours sourire lorsque j’entends parler des «principes» d’un entraineur… Dans le foot, il y aura toujours quatre lignes blanches, des buts, il faut attaquer et défendre et celui qui gagne est celui qui marque un but de plus que l’adversaire. C’est la base! Un match, c’est d’abord une grosse dépense d’énergie. Il faut donc travailler le physique avec un programme adapté au rythme de la saison. Après, il y a la technique. Bon, on ne va pas réapprendre à un joueur à faire des passes, mais on va essayer de leur faire assimiler un système de jeu. Je les faisais travailler à deux ou trois sous forme de triangle avec des passes très rapides. Par exemple, on récupère le ballon et on a dix secondes pour aller dans le but adverse. Après, il y a la question de l’animation tactique : que faire à la perte du ballon et que faire à la récupération du ballon. Si vous arrivez à convaincre les onze joueurs qu’à la perte du ballon, ils doivent se défoncer pour essayer de le récupérer, vous avez fait un grand pas ! Au début, quand on disait à un attaquant de se replacer pour venir défendre, il prétextait que s’il devait défendre, il n’aurait plus de force pour attaquer… Il faut leur faire juste comprendre que si le mec est fort physiquement, il pourra répéter les efforts pour attaquer… et pour défendre! Après, il y a la question de l’animation collective. Sur le terrain, on ne peut pas faire tout et n’importe quoi, n’importe où et à n’importe quel moment. Il faut quadriller et savoir tenir son quadrillage avec des liaisons par groupes de travail. Une fois que vous avez préparé votre équipe d’un point de vue physique, technique, tactique (chacun sait ce qu’il a à faire à la perte du ballon et à la récupération), ça vous donne le contenu d’un match. Il faut aussi s’adapter à ses joueurs. Si vous leur demandez de jouer à une touche de balle, mais qu’ils leur faut trois contrôles pour la donner, ça ne marchera pas… Si vous leur demandez de faire du pressing, mais qu’ils n’ont pas les qualités physique pour le faire, c’est peine perdue… Après, il y a aussi les affinités entre joueurs à prendre en compte. Et tout ça fait un ensemble, ce qui fait qu’il est toujours difficile et complexe d’expliquer la manière dont un entraîneur conçoit le football. Le football, ce n’est pas qu’une question de « principes ». Le football, il est total !
Quel regard portez-vous sur l’évolution du métier d’entraîneur?
La différence entre les années 80 et aujourd’hui, c’est comme la différence entre les téléphones des années 80 et les téléphones aujourd’hui! Ce qui me gêne un peu, c’est que les entraineurs sont tellement entourés d’adjoints qui s’occupent de la préparation physique, des gardiens, du recrutement… qu’ils sont presque devenus de simples communiquant. Dans le mot «entraîneur», il y a le mot «entraîner», chose que ne font presque plus les coachs d’aujourd’hui. À trop déléguer, vous ne dirigez plus rien et vous n’avez plus la maîtrise de tous les éléments qui font une équipe… Sans parler de la démesure que l’on rencontre aujourd’hui avec des jeunes qui sont vendus des millions d’euros alors qu’ils n’ont rien prouvé. Mais bon, c’est la société actuelle et si on peut le regretter, on n’y peut rien… Il faut s’adapter.
«L’OGC Nice, cinq très belles années de ma carrière d’entraîneur»
Pour en revenir à votre situation en cette fin de saison 1986/1987, quelles sont les raisons de votre départ?
En fait, j’arrivais en fin de contrat. En début d’année (1987), sans nouvelle du club, j’avais envoyé un courrier au président pour savoir ce qu’il comptait faire de moi… Sans réponse, je lui ai demandé une entrevue au cours de laquelle j’ai senti que quelque chose d’anormal se passait… Un jour, je passe devant le bureau de René Matteudi, le secrétaire général du club, et sur son bureau, je vois un billet d’avion pour Zagreb… De fil en aiguille, j’apprends qu’il va rencontrer Nenad Bjekovic. Je vais voir le président Innocentini pour lui demander des éclaircissements et surtout, pour qu’il me donne sa décision quant à mon avenir. Je suis en fin de contrat et s’il ne me renouvelle pas, j’ai besoin de le savoir rapidement pour que je puisse me retourner et trouver un autre club. Il me dit: «Coach, ne vous inquiétez pas, vous restez avec nous. Si c’est pas comme entraîneur, ce sera comme directeur sportif…» Je lui répond qu’il n’est pas question que je devienne directeur sportif… En fait, je pense qu’il souhaitait que je reste pour servir de « prête nom» et utiliser mon diplôme d’entraîneur pour lui permettre de recruter quelqu’un qui ne possédait pas les diplômes obligatoires pour pouvoir entraîner en France. Finalement, je suis parti et j’ai signé à Nîmes. Aujourd’hui, avec le recul, je me rends compte que l’OGC Nice représente cinq très belles années de ma carrière d’entraîneur…
Avez-vous gardé des contacts avec d’anciens joueurs?
Pas trop et je le regrette… J’ai été en contact dernièrement avec Michel Joly qui a été récemment opéré du genou, mais qui va bien. J’avais aussi eu Carlos Curbello, mais ça commence à faire un moment… Ah oui, j’ai rendu visite à Dominique Lefebvre, qui est à Saint Malo, et avec qui j’ai passé une superbe journée. Et puis j’ai revu Jean-Philippe Rohr dernièrement, à Nice.
Quel regard portez-vous sur le club aujourd’hui?
À son arrivée, Jean-Pierre Rivère a fait un excellent travail au niveau du choix de ses entraîneurs et il a obtenu d’excellents résultats. Il y avait une grosse dynamique et on prenait du plaisir à les voir jouer. Puis, subitement, il y a eu une cassure ces dernières années… Mais je continue à regarder tous les matchs ! Cependant, même si la dynamique est un peu moins bonne, les supporters doivent continuer à avoir confiance. De toutes manières, le propriétaire anglais a été très discret jusqu’à présent, mais c’est un homme d’affaires et quoi qu’il en dise, il va probablement se montrer beaucoup plus exigeant dans le futur.
Propos recueillis par Serge Gloumeaud pour le museedugym.com
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