JEAN-MARC MICHEL
« Connaître son passé est important pour bien construire l’avenir »
14/05/2020. En tant que journaliste, Jean-Marc Michel a suivi l’OGC Nice à une époque où Internet, Canal+ et Bein sport n’existaient pas. Les plus anciens se souviennent de leur impatience de découvrir ses reportages sur FR3 Côte d’Azur, les lendemains de matchs. Aujourd’hui président de l’Union des Journalistes de Sport en France, il a accepté de revenir sur ses souvenirs rouges et noirs, rien que pour les membres du groupe OGC Nice Histoire. Bonne lecture !
Vous vous êtes occupé du sport du FR3 Côte d’Azur des années 80 aux années 2000. Qu’en retenez-vous aujourd’hui ?
Qu’il a fallu beaucoup se battre pour diffuser le sport et le football à l’écran. En fait, personne ne voulait s’en occuper et nous avions très peu de moyens. Tous les rédacteurs en chef n’étaient intéressés que par une chose : la politique. Mais comme ils ne pouvaient pas diffuser que de la politique à l’antenne, il fallait faire un peu autre chose et trouver quelqu’un pour s’y coller. Comme j’adore le sport, j’ai sauté sur l’occasion.
Quels étaient vos moyens ?
Quasiment aucun. Place à la démerde ! Tu te débrouilles avec ce que tu as… Pour les résumés de matchs de l’OGC Nice, nous avions… une caméra ! Il ne fallait pas louper les buts ! Je faisais aussi une émission de 45 minutes tous les dimanches. J’avais carte blanche, mais sans moyens. C’est à cette époque que j’avais pris Fabrice Poullain (joueur du Gym lors de la saison 1990/1991) en tant que consultant.
Quelles étaient vos relations avec le club ?
Elles étaient exceptionnelles. Le matin, j’allais au parc des sports de l’ouest, je prenais le café dans le bureau du coach… J’avais une vraie relation de confiance avec eux. J’ai toujours joué le jeu… Le coach me donnait des infos pour me permettre de mieux comprendre certaines situations, mais quelques fois, il me demandait de ne pas en parler avant un certain temps. Pour des transferts par exemple… J’ai toujours tenu parole et ça m’a permis d’éviter de dire des conneries. Durant l’époque Innocentini et Boïs, les coachs étaient tous de bons gars. Dans mon métier, le côté humain a beaucoup compté, et je ne vous cache pas que je suis content d’avoir fait ma carrière durant une époque différente de celle d’aujourd’hui, où le côté humain est complètement éclipsé… Avec Albert Emon par exemple, on se voit toujours aujourd’hui et on s’embrasse. Sylvester Takac, Jean Sérafin : c’étaient des types en or qui ne pourraient pas se retrouver dans le foot d’aujourd’hui… Ce n’est plus le même monde. Ce n’étaient pas les mêmes effectifs non plus. Je me souviens de Sérafin et du nombre de de fois où il se creusait la tête pour trouver onze joueurs valides. D’ailleurs, certains d’entre eux acceptaient de jouer alors qu’ils n’étaient pas totalement remis de leur blessure…
Quels sont les dirigeants qui vous ont le plus marqué ?
J’ai une affectation particulière pour deux dirigeants : Mario Innocentini (président de 1981 à 1991) et André Boïs (président de 1991 à 1997). Ce sont des personnes simples qui se sont retrouvées là un peu par hasard, parce que personne ne voulait du poste. Ils ont vécu des moments difficiles et on a rarement reconnu leur mérite. J’ai accompagné Mario Innocentini de nombreuses fois à a DNCG et je l’ai vu plusieurs fois effondré… Tout ce qu’il a pu faire pour sauver son club, c’est incroyable. Sans compter l’argent qu’il a dépensé. C’était un type qui sortait de l’ordinaire. Avec Mario, on s’appelait dix fois dans la journée… Il était grossiste et je l’ai souvent interviewé dans son entrepôt. Avec lui, il y avait restaurateur du port de Saint-Laurent et un marchand de pommes de terre du MIN, Sassone. Le père de Mme Sassone, l’ex-femme de Mr Estrosi. Il s’agissait de gens simples. J’allais souvent les voir au MIN.
Avez-vous connu la période avec la direction italienne (1999 à 2002)?
Oui, et ça été très dur de travailler avec ces gens-là. C’était même l’enfer… À la différence de Mario ou André, ils sont venus ici pour faire du business. Ils voulaient faire une succursale de l’AS Rome ! La motivation n’est pas la même… Ils venaient pour mettre leurs joueurs, leurs coachs. Bref, ils travaillaient pour l’AS Rome. Ce n’est pas ce qu’on attend d’un dirigeant de club. L’OGC Nice a son passé et ses ambitions. Et elles ne sont pas de devenir la réserve d’un autre club !
Quels étaient vos rapports avec les joueurs ?
Les relations étaient aussi très bonnes. Lorsqu’ils gagnaient, on était content avec eux. Il m’est arrivé plusieurs fois de faire des interviews d’après match sous la douche ! À la sortie, j’allais souvent manger une pizza avec eux. C’était un autre temps… Des types comme Nono (Huck), Baptiste Gentili, j’arrivais dans le vestiaire après le match, je m’asseyais à côté d’eux et on faisait le « sonore » comme ça. On se voyait aussi en semaine. Plein de joueurs m’invitaient à diner, ça dépassait le cadre professionnel. Après les entrainements, on allait souvent se manger une pizza chez Icardo. C’est une autre époque et ce sont des amis que je ne peux pas oublier…
Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
D’abord, 1997 et la finale de la coupe de France. C’était d’autant plus beau que le club était à l’agonie. La ligue 1, c’était fini… C’est ce qui est étonnant avec Nice. C’est vraiment un club de contrastes… À Paris, je me souviens qu’on attendait les supporters à la gare de Lyon alors qu’au dernier moment, ils les ont fait arriver à la gare de Bercy ! Heureusement, j’ai rencontré un cheminot que je connaissais et qui me l’a appris. « Ne reste pas là, on a détourné leur convoi car ça a été chaud pour monter de Nice, ils ont cassé quelques vitres, donc ils les ont fait débarquer à la gare de Bercy » On est partis en courant jusqu’à la gare de Bercy. Avec tout notre matériel sur le dos, le chemin était court, mais je l’ai trouvé très long… Aujourd’hui, ce sont des bons souvenirs.
L’autre souvenir reste le barrage face à Strasbourg. À l’aller en Alsace, ce n’était vraiment pas joyeux du tout au niveau de l’ambiance et du résultat. À Nice, le match retour a été exceptionnel…
Parmi toutes celles que vous avez connues, si vous ne deviez retenir qu’une seule équipe ?
C’est difficile à dire. Je trouve qu’à Nice plus qu’ailleurs, il y a toujours eu une certaine idée du jeu. Puis je retiens surtout les belles rencontres que j’ai pu faire… Fred Gioria, Bruno Genesio, Sandjak, Vannucci… Et l’équipe d’Albert Emon qui monte en première division en 1994, ça jouait bien au ballon ! Et Leif Ericksson… c’était un bonheur de le voir jouer. C’est une époque où l’OGC Nice avec un libéro et un vrai 10. Il y a eu aussi Jean-Marc Guillou, une personne à part pour moi.
Pour quelle raison ?
J’ai passé des nuits et des nuits à discuter avec lui… C’est un personnage, un type hors norme sur le terrain et hors norme dans ses pensées sur le foot. Il a toujours été visionnaire. C’était le poète du foot dans son expression, mais il est parvenu à concrétiser ses rêves. Quand il a monté son école à Abidjan, il a fait sortir des joueurs qui ont fait le bonheur du foot français. Je lui avais dit « Jean-Marc, tu as mieux à faire en France, qu’est-ce que tu vas t’emmerder en Côte d’Ivoire ? » Mais c’était son projet… On passait des soirées avec Arsene Wenger et lui du côté à St-Jeannet, où on lui disait de ne pas y aller… Ils se sont connus en Alsace, ils sont revenus sur la côte. C’est Jean-Marc qui l’a ramené avec lui dans ses bagages. Ce sont des gens hors normes dans le foot. Ils ont des qualités que d’autres n’ont pas.
Personnellement, vous êtes supporter d’un club en particulier ?
Je n’ai jamais vraiment été supporter d’un club. Je couvrais Monaco et Cannes pour le foot et Nice pour le foot et le rugby. Ah, le rugby, j’ai vécu aussi des moments exceptionnels avec Jeff Tordo notamment, qui est devenu mon témoin de mariage. C’était quelque chose ! En fait, j’ai surtout été supporter des joueurs que j’ai appris à connaitre et qui sont devenus des amis.
Avez-vous conservé toutes les images des matchs que vous avez filmés ?
En fait, au bout de 3 ans, les images n’appartiennent plus à FR3, mais à l’INA. Même si France 3 souhaitait diffuser aujourd’hui ces images, la chaîne devrait payer à l’INA des droits de diffusion qui sont de l’ordre de 600 à 1000 euros la minute !
Quels étaient vos relations avec les supporters de l’OGC Nice ?
Elles étaient bonnes. À la fin des matchs, je discutais souvent avec eux à la sortie du stade. Lorsque c’était un peu chaud au niveau des résultats, les discussions duraient très longtemps, ils voulaient connaitre les réactions dans les vestiaires. Je ne rentrais pas aux studios avant une heure du matin… Je discutais aussi avec les habitués du parc des sports. C’étaient des relations enrichissantes. Les types étaient au parc des sports tous les matins. Qu’il pleuve ou qu’il vente, ils étaient une dizaine à être présents, y compris dans les moments très difficiles. Il faut reconnaitre le mérite de ces gens.
Avez-vous un message particulier à transmettre aux membres du groupe OGC Nice Histoire ?
Ils vivent une belle histoire et il faut qu’il la vive à fond. Je pense que le sport, et le foot notamment, est un incroyable vecteur d’émotions. Il peut générer des émotions extraordinaires, que peu d’autres domaines peuvent provoquer. Ensuite, ils ont la chance de supporter un club qui a connu des périodes difficile, qui a été parfois au bord du gouffre, mais qui a toujours su s’en sortir, parfois avec des bouts de ficèles, souvent avec de la volonté et beaucoup de cœur… Le club n’a jamais connu autre chose que la première et la deuxième division. Quand tu descends, c’est un moment très dur bien évidemment, mais l’OGC Nice a toujours su se maintenir à flot et remonter. Des clubs comme Cannes, Nîmes ou Toulon par exemple, sont tombés beaucoup plus bas et connaissent ou ont connu des décennies de vide… Ce que vous faites dans ce groupe est vraiment très bien. Connaître son passé est important pour bien construire l’avenir. Ce que je dis peut paraître dérisoire, mais tout change et passe très vite et mes confrères journalistes oublient parfois de faire leur devoir de mémoire. À Nice, il y a eu des tas de gens avec de belles plumes et qui auraient dû faire des choses plus importantes que ce qui a été fait. On est un peu fautifs car quand on est dans le moment, on ne se rend pas compte de la richesse des moments que nous vivons avec les joueurs, les entraîneurs et les dirigeants. Sans devoir de mémoire, tous ces moments restent dans les souvenirs, mais ils s’estompent peu à peu pour ensuite disparaître…
Propos recueillis par Serge Gloumeaud.